30 juin 2009

Première

(Gangtok, 30 juin 1912)
Tout cela fut fort long à cause de la traduction qui suivait phrase par phrase. C’est très extraordinaire quand je dis trois mots, le traducteur parle pendant dix minutes et ce fait ne s’est pas seulement produit ce matin, mais avec mes domestiques c’est la même chose. Cependant quand je commande: soupe au céleri ou aux pommes de terre, ce n’est pas du langage philosophique. N’importe, la traduction est toujours d’une longueur démesurée.
Entre-temps on avait apporté des tasses devant le prince et devant moi, et l’on nous servait du thé tibétain. Et voici la manière d’opérer: de cinq minutes en cinq minutes, le serviteur se pose devant vous avec son énorme théière tenue très haut, presque à hauteur de l’épaule, on boit la moitié de sa tasse, il la remplit; on reboit, il revient, il remplit... et cela dure des heures sans discontinuer, on avale ainsi plusieurs litres et l’on en boirait encore, encore... Mon discours allait toujours durant ce temps. C’est la coutume au Tibet, où les offices, la lecture des Ecritures durent longtemps, de servir du thé aux lamas dans le temple. Pas mal d’écrivains ont décrit ces interminables dégustations de thé dans les temples tibétains mais ils le faisaient d’après des ¨on dit¨ ou pour les avoir contemplées de la porte. Combien d’Européens se sont trouvés assis à côté des lamas et dégustant avec eux? - Très peu, s’il y en a, et certainement pas une Européenne. Et quant à avoir été assis sur un petit trône en face d’un grand chef religieux et ¨incarnation¨à côté de l’autel et à avoir prononcé un discours de cette place avec une belle tasse d’argent et de porcelaine devant soi, cela certainement, absolument certainement, nul Occidental ne l’a fait.
Alexandra David-Néel Journal de voyage 1 Lettres à son mari Presses Pocket

1 commentaire:

Thé noir a dit...

Elle avait raison d'être fière de son exploit.