Seule elle était, seule elle resterait. Et ne sortirait que pour aller se procurer de quoi survivre, de la viande, du poisson, des légumes, des fruits, pas de sucreries, surtout pas de sucreries. Mais beaucoup de thé. Elle commencerait sa nouvelle vie en se débarrassant le plus possible des toxines qui l’empoisonnaient depuis si longtemps. Une cure purificatrice avant de se lancer dans l’inconnu.
Elle lève la main, fait un signe au serveur qui s’approche, tout sourire.“Un thé complet, s’il vous plaît. Juste du sucré, pas de sandwiches.- Sorry, I don’t speak French...- Mon Dieu, y en a ici aussi des comme vous?”
et 33:
Les scones sont tièdes et moelleux, la marmelade pince la langue comme il se doit, la crème est fraîche et un peu surette, et jette là-dessus une petite saveur glacée, satinée. Elle en mangerait quatre, elle en mangerait six. Le thé est d’égale qualité à celui qu’on sert dans les restaurants chics d’Ottawa; elle en redemande.
Pourtant, elle n'en reprendra que dans la scène finale (p.153-158). Elle est sur son balcon, avec sa cousine:
Le service à thé est posé sur une petite table entre leurs deux chaises. Maria a apporté un gâteau acheté sur Mont-Royal dans une pâtisserie belge qui vient d’ouvrir près de De Lorimier.…Elle a longuement hésité avant de jeter son dévolu sur ce qui s’appelait un fraisier et qui lui semblait le comble de la perversité culinaire.Elle lèche une dernière fois sa fourchette, prend une gorgée de thé où flottent des miettes de gâteau et des débris de fraises recouvertes de sucre....
“On devrait peut-être rentrer, y va mouiller.”…“Non. La pluie vient de l’ouest, a’l’arrive de côté, a’ monte presque jamais jusque sur le balcon... Pis j’aime ça la regarder tomber. Finis ton thé.- Y est bon.- Je l’ai trouvé dans un magasin de la rue Mont-Royal qui est toujours vide. Personne va là, j’sais pas comment y arrivent à rester ouverts... J’pense que chus leur seule cliente!”Maria fait tinter sa cuiller sur le bord de la jolie tasse en porcelaine vert amande.“Tu dis n’importe quoi pour changer la conversation, Ti-Lou. T’as pas répondu à ma question.…Ti-Lou se donne un élan avec les pieds. Elle se berce une bonne minute, tasse de thé à la main, avant de parler. Pendant tout ce temps, elle réussit à ne pas renverser une seule goutte de liquide chaud.
Ce qui amène quelques réflexions:
- Maria ne semble pas tenir compte du diabète de sa cousine quand elle choisit le gâteau.
-
Le service à thé vert amande ne peut pas être celui du 4e tome* puisque
Ti-Lou a tout laissé à Ottawa au début du présent livre.
-
C'est le deuxième des six livres qui ne mentionne pas le thé des
Indiens**, La traversée des sentiments ne parlant que de thé fort:
« Bois ton thé, Nana, j'te dis, ça va te dégraisser l'estomac. »Un autre héritage de sa mère qui servait toujours du thé fort avec ses plats les plus lourds parce qu'elle croyait, ou faisait semblant de croire, que ça faisait fondre les gras et empêchait de prendre du poids. Plus le plat était lourd, plus le thé était fort. Ce qui ne l'empêchait pas, par ailleurs, d'élargir au fil des années.
*
J'vas aller te préparer une tasse de thé. Ici, à Ottawa, tout se fait au-dessus d'une tasse de thé. Surtout les confidences. Comme en Angleterre. Tu peux pas t'imaginer à quel point on est en Angleterre, ici!...Des bruits de tasses qui s'entrechoquent, dans la cuisine, un sifflement de bouilloire.« Ça sera pas long! Tu me connais, j'arrive même pas à faire bouillir de l'eau comme du monde! Mais mon thé est quand même pas pire... As-tu pris le tunnel qui passe en dessous de la rue pour te rendre ici quand t'es sortie de la gare?...Ti-Lou revient, si belle dans sa robe lilas.« Prends-le pendant qu'y est chaud. Ça va te faire du bien. C'est ben la seule chose que j'ai apprise des Anglais, ça, en fin de compte : une bonne tasse de thé, ça fait toujours du bien. »C'est vrai que c'est bon. Comme un arrière-goût de fumée. Mais elle n'est pas convaincue que ça va lui faire du bien.,,,
Le thé des Indiens refroidit dans les tasses,...les confidences n'ont pas encore débuté...Mais rien ne vient. Maria reste tête penchée au-dessus de sa tasse de porcelaine transparente, elle aussi vert d'eau comme le fauteuil dans lequel elle est assise depuis son arrivée, la même teinte, exactement la même teinte de vert. Combien de temps avait-il fallu pour trouver des tasses du même vert que le tissu de son fauteuil, c'est tout ce à quoi elle arrive à penser. Le même vert? Exactement le même vert!...
Ti-Lou lui verse une seconde tasse de thé des Indiens**.« Tu trouves pas que ça sent notre jeunesse? Le nombre de tasses de thé qu'on a bues en faisant nos maudits rêves de fous... »Cette petite phrase anodine, qui se voulait une simple diversion, déclenche tout. Maria reprend sa tasse, y baisse le nez en fermant les yeux.Et tout lui revient.…Lorsqu'elle a terminé, la troisième théière est vide depuis longtemps, une lueur blafarde entre par la fenêtre ouverte.Michel Tremblay, Le passage obligé 2010 Leméac
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Ça s'était passé dans la cuisine, devant une tasse de ce que dans la famille de Bebette on appelait du thé des Indiens, une tisane forte, foncée, qui tenait encore plus réveillé que le café.Michel Tremblay La traversée du continent 2007Teena et Tititte ont presque sursauté. C'est la première fois que quelqu'un ouvre la bouche depuis un bon moment et chacune, tout en sirotant un thé noir un peu fort – on appelle ça le thé des Indiens, dans la famille Desrosiers -, était perdue dans ses pensées.Michel Tremblay La traversée de la ville 2008Les matinées sont sans fin. Les après-midi s'étirent. Pour s'occuper, elle se rend à la cuisine et se prépare des tasses de thé des Indiens qu'elle laisse refroidir sans y toucher. Elle téléphone à des amies qui s'ennuient comme elle et qu'elle énerve autant qu'elles l'énervent.Michel Tremblay La grande mêlée 2012
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