Je réalise que la bonne humeur et l’inclination à la plaisanterie ne sont pas un don chez moi, c’est un besoin, comme une drogue. J’essaie de m’y forcer, même si le moment est mal choisi. Pendant que nous faisons les cent pas sur le quai, je tente de faire marcher ce pauvre Joska bien flétri : Être prévenant, ça ne va pas toujours de soi, hein? En ce moment, tu préférerais t’installer au café Bastei, avec Gusterl, et prendre un thé bien chaud. N’aie aucune crainte, ce sera tout différent à mon retour de Stockholm.
Tout cela me mettait les nerfs en pelote, de même que la vue du visage mélancolique de Jojo. Je compris que j’avais besoin de quelqu’un avec qui plaisanter, non pas parce que j’étais d’humeur précisément joyeuse, mais bien pour la raison inverse. J’aurais eu recours à cette diversion comme à un opium. Je fis un petit tour avec Jojo sur le quai et commençai à le taquiner :- Ce n’est vraiment pas une affaire que d’être bon avec ses amis, n’est-ce pas? Pense si ce serait agréable d’être assis en ce moment avec Gustave au Café Bastei, en face d’une tasse de thé fumant!… N’aie pas peur, tout sera différent quand je reviendrai de Stockholm.
Frigyes Karinthy Voyage autour de mon crâne Utazds a koponydm körül
Cet ouvrage a été traduit une première fois par Françoise Vernan et publié chez Corréa, Buchet-Chastel en 1953, puis réédité en 1995 aux éditions Viviane Hamy.
Traduit par J et P. Karinthy Denoël & d’ailleurs 2006
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