Pipliang (Kansu) Chine 17 mai 1918
Avant mon départ de Si-An, le gouverneur m’a invitée à un thé dans sa résidence privée qu’il partage avec un de ses amis membre de son conseil. Une toute petite maison située dans un jardin très négligé, occupant un recoin du vaste palais officiel. On eût dit ¨la maison du sage¨dont parlent les anciens philosophes grecs et, de fait, s’il n’est un sage, l’ami du gouverneur est un homme méditatif, un aspirant à la sagesse. Le gouverneur, lui, est un militaire, mais par les temps troublés qu’il traverse il estime la ¨maison du sage¨plus aisée à défendre, en cas d’attaque, que le palais lui-même. Le thé reflétait de façon ultra-pittoresque l’incertitude de l’heure actuelle en Chine. En guise de femmes de chambre en tabliers de bonnets brodés, tasses et gâteaux étaient présentés par des soldats ceints de cartouchières démesurément garnies, le revolver à la ceinture ou le rifle pendu à l’épaule. Il y en avait même un qui portait une arme, sans soute dernier cri, que je ne sais comment dénommer. Un superbe gland, naturellement, rehaussait la beauté de cet outil de massacre et même un carré de soie rouge s’y joignait. Je t’assure que cet instrument donne de l’allure à un homme circulant des tasses de thé à la main. Plaisanterie à part, nous sommes sur le pied de guerre et les soldats dorment leur fusil à côté d’eux.
Alexandra David-Néel Journal de voyage 2 Lettres à son mari Éditions Presses Pocket
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