22 septembre 2009

Universel

Le vent d’automne chassait des lambeaux de feuilles jaunes et brunes sur le trottoir et les poussait vers Taads, si bien qu’en dépit de l’averse, celui-ci avait les pieds dans un brasier insaisissable et dansant. Mais eau ou feu, peu lui importait. Il restait là pétrifié, muré, le regard rivé sur le bol posé au milieu de la vitrine. Inni le rejoignit sans mot dire. Le bol avait la couleur des feuilles mortes, de toutes les feuilles mortes à la fois, l’éclat du gingembre confit, sucré et amer, dur et doux, le luxueux embrasement de la pourriture. Il était large, presque pataud, ne devait rien à la main de l’homme et remontait à une préhistoire sans nom. Si le bol noir exprimait encore une menace, celui-ci était au-delà de toute interprétation psychologique : l’idée que, pour exister, les objets devaient être vus pour l’homme cessait ici de s’appliquer; s’il était un nirvana des choses, ce bol à thé raku y avait touché depuis une éternité.
Cees Nooteboom Rituels Gallimard 2006

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