03 avril 2007

Hommerie

Enfin, il eut une idée illuminante. Une fois dans sa vie, il pourrait faire un grand sacrifice.
N’avait-il pas acheté chez Lacour, trois ans plus tôt, une petite boîte de thé qui lui avait bien coûté vingt-cinq sous? S’il en offrait une tasse à Donalda? Après tout, n’était-il pas capable d’une telle générosité? Et puis, sa femme n’était peut-être pas une aussi mauvaise créature?
Combien ce mari eût-il aimé que toute la paroisse le vît agir, quand il fouilla dans l’armoire d’une main lente, pour y trouver à la fin, dans une boîte de fer-blanc, deux cuillerées à soupe de thé jaunâtre, sec et poussiéreux! Il en mit une pincée dans un bol et l’arrosa d’eau bouillante. Au bout de cinq minutes, il montait doucement l’escalier, tenant des deux mains le précieux liquide.
-Tiens, dit-il à Donalda qui grelottait toujours, je t’apporte une bonne tasse de thé. Ça, ça va te guérir, ma fille.
- Tu es bien bon, fit la malade, en dressant vers l’homme des yeux plus brillants que jamais et tout pleins déjà de reconnaissance. Elle but le pâle mais chaud breuvage, car elle avait grand soif et se sentait faible.
Séraphin ne trouva pas un mot à répondre, tant il était rempli de la magnificence de son acte. Personne au monde, pas même le prodigue Alexis, n’eût fait mieux que lui, et avec un plus grand coeur. Il se crut bon à l’égal des saints. Dans cette maison de lésine, où l’avarice était devenue la seule grandeur, Séraphin Poudrier éprouva une sensation de bien-être et de contentement à la pensée qu’il donnait à sa femme malade tous les soins nécessaires. Et plus encore: du thé.

Claude-Henri Grignon Un homme et son péché Edition Stanké 10/10

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