30 juillet 2013

Autobio

Je viens de finir "La promesse de l'aube" de Romain Gary. S'il a parlé très tôt des cigarettes fumées par sa mère sans retenue, j'ai dû attendre la page 135 avant de l'entendre parler de la consommation de thé de cette Russe:

Encore un Câteau pour moi, un verre de thé pour ma mère : elle devait boire entre quinze et vingt verres de thé par jour.
Puis en page 146, après l'avoir corrigé magistralement:
Elle aspira l'air avec bruit, signe de satisfaction, et alla se verser un verre de thé. Elle but le thé, le morceau de sucre dans la bouche, le regard perdu, en train de chercher, de combiner, de calculer. Puis elle recracha ce qui restait du sucre dans la soucoupe, prit sa sacoche et s'en alla. Elle alla tout droit au Consulat de France...
Je retiens de cette scène d'abord qu'il ne s'agissait pas de sucre en cubes (rectangulaires en France) mais sûrement de ces cristaux translucides, plus ou moins gros, qu'on trouve dans les épiceries exotiques, puis que c'était une femme déterminée. Ne sont-ils pas installés à Nice dès la page 151:

Elle n'eut guère plus de succès dans le magasin suivant, tenu, celui-là, par un couple de bons Français bien nés, où, plaçant sous le nez du vieux monsieur le petit samovar admirablement proportionné, elle évoqua, avec une éloquence virgilienne, l'image d'une belle famille française réunie autour du samovar familial, ce à quoi le charmant M. Sérusier, lequel devait par la suite employer ma mère souvent, lui confiant des objets à la commission, répondit, en hochant la tête, et en portant à ses yeux un pince-nez enrubanné qu'il ne mettait jamais tout à fait :
- Madame, le samovar n'a jamais pu s'acclimater sous nos latitudes – ce fut dit avec un tel air de regret navré que je crus presque voir le dernier troupeau de samovars mourant dans les profondeurs de quelque forêt française.
Pour soutenir les ambitions qu'elle nourrissait pour son fils unique et préféré, en plus de vendre leur argenterie et celle d'autres "nécessiteux" haut de gamme, elle a ouvert une pension de famille.
Ma mère se levait à six heures du matin, fumait trois ou quatre cigarettes, buvait une tasse de thé, s'habillait, prenait sa canne et se rendait au marché de la Buffa, où elle régnait incontestablement.
Elle a aussi servi le thé pour régler certains ennuis à l'amiable:
On me toisa avec reproche. On soupira ensemble. On murmura. Ma mère offrit le thé à Adèle et, marque de bienveillance insigne, elle lui fit goûter à la confiture de fraises qu'elle avait préparée elle-même. Cette gourmandise était, bien entendu, interdite à ma mère, et elle en gavait quelques rares élus, en les priant ensuite de lui décrire l'effet que cela faisait.
et pour célébrer:
Ma mère réfléchit un moment. Une nouvelle idée lui traversa l'esprit :
 - Sur trois cents, le seul à ne pas avoir été nommé sous-lieutenant! dit-elle, avec une admiration et une fierté sans bornes.
Elle courut chercher le thé, les confitures, les sandwiches, les gâteaux et les fruits. Elle s'assit à la table et renifla profondément, avec une satisfaction intense.

- Raconte-moi tout, m'ordonna-t-elle.
Elle aimait les jolies histoires, ma mère. Je lui en ai raconté beaucoup.

Et lui-même semble avoir gardé d'elle cette source de réconfort:
p.284
je m'installais à la terrasse des cafés arabes et fumais un cigare, en buvant du thé vert, pour tenter de lutter, selon ma vieille habitude, par un sentiment de bien-être physique contre le malaise de mon esprit; ma mère, cependant, me suivait partout où j'allais, et sa voix s'élevait en moi avec une cinglante ironie.

p.356
Vers trois ou quatre heures du matin, je posais mon stylo, j'enfourchais ma bicyclette et allais boire une tasse de thé au mess; je montais ensuite dans mon avion et repartais en mission dans le petit matin gris, contre des objectifs puissamment défendus. Presque toujours, au matin, un camarade manquait; …

Quant à sa dernière mention, en p. 358:
La publication d'Education Européenne en Angleterre me rendit presque célèbre...
Je fus invité à prendre le thé par Mrs. Eden, la femme du premier ministre britannique, et je pris bien garde de ne pas écarter le petit doigt, en tenant ma tasse.
c'est un clin d'oeil à ses propos de la page 72:
Et avec cette habitude qu'elle avait de me couvrir de « professeurs » - professeur de calligraphie – Dieu ait pitié de lui! S'il pouvait voir mon écriture, le pauvre se dresserait sûrement dans son cercueil – professeur d'élocution, professeur de maintien – là non plus, je n'ai pas fait preuve de beaucoup d'aptitude, et tout ce que j'ai retenu de son enseignement, c'est qu'il ne faut pas écarter le petit doigt en tenant ma tasse de thé – professeur d'escrime, de tir, d'équitation, de gymnastique, de... Un père aurait fait beaucoup mieux l'affaire.

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