07 mars 2012

Réchauffement local


Dans les ateliers des femmes, isolés des bâtiments principaux de la manufacture, nous ne voyions guère les tuan besar, les patrons. S’en remettant entièrement aux contremaîtres, ils se contentaient de contrôler la production dans les salles de fermentation et d’emballage. Sur la recommandation conjuguée de Murugan et de Luok Feng, je fus affectée en mars 1943 à l’empaquetage.
J’appris de nouveaux gestes qu’aujourd’hui je sais toujours effectuer les yeux fermés. La main gauche plonge la mesure de cuivre dans la bourriche de thé tandis qu’ayant saisi deux feuilles de papier de soie, je les plie de façon à former un petit cône. Il faut verser le thé en un point légèrement décentré afin de rabattre le premier papier sur le coin opposé. Le plat de ma main empêche alors les feuilles noires de glisser. D’un coup de pouce enfin, je referme les angles, répète l’opération avec le second papier de soie puis enroule l’étiquette blanche à rayures orange des Jardins de Boh.
Je ne mis pas longtemps à acquérir le doigté suffisant à emballer plus de deux cents cubes de thé à l’heure, un rendement si élevé que je reçus les félicitations du chef d’atelier qui jugea que j’étais désormais plus utile à l’empaquetage qu’à la cueillette ou à la taille des théiers. Transférée au bâtiment principal de la manufacture, on me remit le sari aux couleurs de la marque, blanc bordé de galons orange, qui récompensait les ouvrières modèles. Je passais désormais tout mon temps dans les locaux de vente de la manufacture.
Juliette Morillot Les orchidées rouges de Shanghai 2001

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